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Les Tunisiens sont-ils d’accord sur plus de choses qu’ils ne le croient ?

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Foreign Policy est une publication de premier plan sur les sujets touchant à la politique internationale, l’économie et les idées pour ceux qui veulent comprendre ce qui se passe réellement dans un monde de plus en plus complexe. 

Depuis le départ de Ben Ali en janvier, c’est la nature inclusive et consensuelle du processus de transition démocratique qui a permis à la Tunisie d’assoir un prestige fraichement acquis.

Ces derniers mois, toutefois, la polarisation entre le parti islamiste Enahdha et les forces séculaires est devenue l’un des principales sujets de débat parmi les élites politiques.

Durant un voyage en Tunisie à la fin du mois de juillet, j’ai pu clairement constater de profondes différences. Rached Ghannouchi, leader du plus important mouvement islamiste, parle d’une façon amère et dans des termes profondément populistes du souhait, de la part de l’élite du pays (comprenez des gauchistes, des libéraux et des laïques), de se cramponner au pouvoir. Les partis de gauche et les libéraux, de leur coté, considèrent que les islamistes se préparent à prendre le pouvoir.

C’est particulièrement troublant à trois mois des élections prévues pour l’assemblée dont la tâche sera d’écrire une nouvelle constitution. S’il existe une règle concernant les transitions démocratiques, c’est qu’elles se passent plus en douceur quand toutes les forces politiques significatives sont assises autour de la table où les décisions se prennent de façon transparentes et consensuelles. C’est ce que la Tunisie a essayé de faire. Mais avec la polarisation croissante et des nerfs à vif, un processus consensuel et qui inclut tout le monde pourra-t-il avoir lieu à la suite d’élections aussi clivantes ?

En pratique, cette obsession sur la bipolarisation politique aveugle les Tunisiens au point de mettre en péril la transition démocratique. Les Tunisiens se méfient des intentions des uns et des autres pour une multitudes de bonnes et de mauvaises raisons. Il pourraient cependant s’apercevoir que la tâche qui consiste à écrire une constitution est moins sujette à contentieux qu’ils ne l’imaginent.

Ce climat de suspicion est en effet inquiétant dans un pays ou les règles de la vie politique ne sont pas claires, et ou même les règles sur qui doit écrire ces règles n’ont pas encore été complètement définies. Il est évident qu’auront bientôt lieu des élections pour l’assemblée constituante (même si les inscriptions des électeurs pour y participer progressent très lentement). Mais comment cette assemblée constituante travaillera-t-elle ? Qui en fera partie? Et qui gouvernera et administrera le pays pendant que cette Assemblée accomplira sa tâche ?

L’attente de la plupart des acteurs politiques est que l’Assemblée Constituante créée ses propres règles. Elle nommera probablement un président par intérim, légifèrera quand elle jugera nécessaire de le faire et veillera au bon fonctionnement du gouvernement. Elle pourrait laisser en place les instances de transitions actuelles : la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Il lui revient même de décider de la façon dont elle travaillera – à la rédaction de la constitution – dont elle la ratifiera et l’adoptera.

Qui fera partie de cet instance ? Personne ne le sait, les élections sont particulièrement difficiles à prédire. Il n’y a jamais eu d’élections libres en Tunisie auparavant. Beaucoup d’acteurs politiques sont nouveaux, et malgré la politisation de la population, le taux de participation n’est pas prévisible.

Quelque point sont clairs cependant. En premier lieu, la loi électorale a été conçue pour éviter qu’un seul parti puisse dominer. Deuxièmement, le parti islamiste Enhadha (Parti de la Renaissance) – son nom même montre une incertitude quant au fait d’être un parti politique ou un mouvement largement basé sur une reforme – a fait en sorte de recréer une infrastructure nationale, et occupera probablement un rôle clé (à quel point? Même ses dirigeants semblent l’ignorer).

Quelques partis laïques, de gauche, nationalistes et libéraux commencent à ressortir du lot, mais leur capacité à recueillir les voix des tunisiens est difficile à évaluer. Le syndicalisme pourrait jouer un rôle majeur, tout simplement parce qu’il avait déjà une certaine crédibilité, même sous l’ancien régime. Il pourrait donc influer largement sur l’électorat. Toutefois, il n’a pas encore abattu ses cartes. D’autres forces politiques nouvelles n’ont pas à ce jour démontré leur capacité à fédérer un électorat loyal ou a faire preuve d’une capacité à influer sur les masses.

Alors, que fera ce groupe hétérogène d’élus une fois qu’ils prendrons place à l’Assemblée ?

Ils auront certainement une conception très différentes de l’avenir politique de la Tunisie. Ils seront cependant peut-être amenés à se surprendre les uns les autres dans leur compromis autours du texte de cette constitution, et le consensus pourrait aller plus loin que ce que la plupart des participants ne réalisent.

La plupart sont d’accord sur la nécessité d’un parlement plus fort, ainsi qu’une protection renforcée des Droits de l’Homme. J’ai entendu un influent indépendant non-islamiste parler du désir des islamistes d’avoir un président fort. Un autre parlait du souhait secret d’un leader d’un parti de gauche d’avoir un président puissant, tandis que les dirigeants islamistes clament leur désir d’empêcher quiconque de conserver un régime présidentiel.

Les élites Tunisiennes s’attendent à ce que les vraies batailles se déroulent autour de l’identité nationale. Je n’en suis pas aussi sûr. Il existe sans nul doute de profondes divergences, mais personne ne semble vouloir apporter de changement radical dans la formule développée lors de l’indépendance du pays. L’article 1 de la Constitution de la Tunisie a toujours été « La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain et sa religion est l’Islam, sa langue est l’arabe, et son type de gouvernement est une république. » L’article 2 déclare que la Tunisie fait partie des états Arabes d’Afrique du Nord et l’article 38 de l’actuel (et bientôt remplacé) document impose que la présidence soit occupée par un musulman. L’Assemblée Constituante ne changera probablement pas cela.

Les tunisiens sont d’accord sur le texte de la constitution, même lorsqu’ils sont en désaccord profond sur la religion. Faire de l’Etat un acteur religieux neutre est une option séduisante pour ceux qui souhaitent aller vers un modèle séculaire « à la française », minimisant ainsi le rôle de la religion dans la vie politique. Mais cette option séduit également certains islamistes, qui y voient une façon de libérer l’Islam d’une quelconque ingérence étatique.

Rached Ghannouchi, lors d’une discussion à ce sujet, semblait plus favorable à une approche « anglo-saxonne », dans laquelle la neutralité de l’Etat n’est pas opposée à la religion dans la sphère publique. Ces mots ne m’étaient pas seulement destinés. Je l’ai entendu extrapoler sur ce sujet dans une interview sur une chaîne Egyptienne quelques jours plus tard. Ainsi, même si un texte assez vague en matière de neutralité religieuse pourrait être mis en pratique très différemment selon le parti au pouvoir, il est probable que le consensus sera atteint sur ce point en ce qui concerne la constitution.

Alors pourquoi la controverse enfle-t’elle donc à ce point ?

Lorsque j’ai demandé aux tunisiens si un changement sur des sujets controversés aurait un quelconque effet (si, par exemple, le mot « Arabe » était supprimé de l’article 1, les tunisiens se mettraient-ils à parler espagnol ? Si l’article 2 était modifié, se retrouveraient-ils soudainement en Asie ?), la plupart me confièrent que le débat constitutionnel était avant tout symbolique. En d’autres termes, argumenter à propos de l’identité du pays dans le texte de la constitution de ce même pays pouvait être considéré comme une lutte de pouvoir à propos de Dieu, la Nation et la communauté politique.

Ce combat est évidemment bien réel, et se répercutera probablement au sein des débats politiques dans les années qui viennent. Mais lorsque l’enjeu en est la rédaction d’une constitution, ce sujet pourrait s’avérer moins clivant que ce que beaucoup redoutent aujourd’hui.

Alors oui, les tunisiens sont actuellement divisés, et ne s’accordent pas sur des points fondamentaux. Mais rédiger une constitution n’est pas une question de consensus général, il s’agit avant tout de délimiter un cadre destiné à gérer les désaccords. Les futurs élus de l’Assemblée Constituante devront s’en souvenir, afin de laisser libre cours aux échanges (animés) tout en continuant à faire leur travail.

Les tunisiens devront également garder ceci à l’esprit, afin de pouvoir se positionner dans un contexte politique post-constitution, et ne pas perdre leur sentiments d’appartenance à une communauté politique.

Enfin, il est du devoir du monde extérieur de garder également ceci à l’esprit, afin de se faire à l’idée d’entendre une société arabe parler de plusieurs voix, s’accorder à un moment donné, et diverger à d’autres.

Nathan J.Brown est Professeur en science politiques et affaires internationales à l’Université George Washington et associé honoraire de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale

article original en anglais

Cet article a été traduit de façon collaborative par des citoyens du monde entier avec EtherPad
(stats disponibles ici)

Illustration CC de  See-ming Lee 李思明 SML


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